Un peu de littérature ne nuit pas

Publié le par Anissa LEGER

Un peu de littérature ne nuit pas

«Marathon, Santiago, même combat !

Le trouble physique qu’avait suscité, les premiers jours, mon changement d’état, s’il n’avait pas disparu, s’était circonscrit : tout se résumait à un mal affreux sous la plante des deux pieds, un peu en arrière des orteils. C’était assez insupportable, mais j’y voyais un progrès. J’avais la conviction que tout mon malaise, les nuits de mauvais sommeil, les courbatures, la faim, la soif, étaient descendus dans mes jambes d’abord, puis sous mes pieds.

Les pieds du pèlerin ! Sujet dérisoire mais qui prend, sur le Chemin, des proportions considérables. Chaque étape est l’occasion de prodiguer des soins à ces extrémités dont on ne mesure pas l’importance dans la vie quotidienne. Certains pèlerins vivent un cauchemar avec leurs pieds mais, surtout, ils le font vivre aux autres. Car rares sont ceux qui conservent ces supplices pour eux-mêmes. A la différence d’autres organes plus intimes que la pudeur incite à ne pas exposer, les pieds sont assez volontiers montrés en public. On les exhibe sous le nez des bien portants, afin de recueillir d’eux un avis et dans l’espoir, peut-être, que leur regard compatissant aura sur les ampoules, écorchures et autres tendinites un effet apaisant. Les commerces situés sur le chemin et, en particulier, les pharmacies, sont encombrés d’individus dont le premier soin est d’enlever leurs chaussures et d’exposer leurs pieds meurtris (…)

Lorsque le pèlerin est parvenu à surmonter ces désagréments et qu’il a atteint le bienheureux stade de la corne sous les pieds, il protège ses acquis en prenant soin, chaque soir, de se déchausser sitôt arrivé. »

Jean-Christophe RUFIN, Immortelle randonnée. Compostelle malgré moi.

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